Le Pogge est un caractère typographique qui puise ses spécificités dans les tracés calligraphiques de la minuscule carolingienne du IXe siècle, à la manière des humanistes au XVe siècle ; notamment sous l’influence de Poggio Bracciolini.
De Alcuin,
Bien que les sources du Moyen Âge nous révèlent des graphies très nombreuses, variant avec les époques et les lieux, on peut cependant admettre qu’une écriture l’a emporté durant près de quatre siècles au point d’éclipser les autres : celle que l’on a appelée « caroline », du nom de Charle(magne) sous le règne duquel elle a été mise au point. La minuscule caroline, somme des écritures livresques les plus lisibles à l’époque, a été imposée par Charlemagne en 789 dans toutes les écoles, scriptorii et monastères de l’Empire (qui comprenait toute l’Europe occidentale) parallèlement à la réforme des études et de la liturgie.
Sous l’impulsion d’Alcuin (730 — 804), savant et artisan important de la renaissance carolingienne, elle a été créée d’un choix délibéré pour faire de cette écriture empreinte de force et de clarté, de simplicité et d’une excellente lisibilité, un instrument d’unification de la pensée de l’Occident chrétien. La caroline est une lettre décisive pour l’évolution de l’écriture. C’est elle que reproduit aujourd’hui le bas de casse, par l’intermédiaire de l’écriture humanistique du XVe siècle.
à Poggio Bracciolini.
Dès le XVe siècle, l’Europe connaît une profonde mutation politique, économique et culturelle. Caractérisée par une rupture progressive avec la société féodale et un regain d’intérêt pour l’Antiquité : la Renaissance. Un mouvement philosophique et artistique donc, qui entend s’éloigner de la « barbarie » et de la pensée scolastique du Moyen Âge pour ressusciter le faste de la culture classique.
Si l’on considère les débuts de l’humanisme à Florence vers la fin du XIVe siècle et dans la première décennie du XVe siècle, on constate qu’il s’agit surtout d’un mouvement littéraire inspiré par Pétrarque et ses disciples, Coluccio Salutati, Niccolo Niccoli, et Poggio Bracciolini. Ces érudits sont alors engagés dans une quête qui s’apparente moins à une entreprise de création qu’à une redécouverte, celle de l’héritage littéraire de l’ancienne Rome, héritage perdu ou mésestimé. C’est ainsi qu’ils découvrent plusieurs spécimens transcrits dans la belle écriture minuscule du IXe siècle. N’ayant eu connaissance d’aucun style d’écriture latine antérieur, ils en concluent, peut-être un peu hâtivement, qu’ils ont découvert l’écriture classique des Romains. Avec une grande évidence, ils adoptent cette minuscule caroline pour calligraphier leurs manuscrits. Celle-ci se voit notamment magnifiée et stabilisée à travers la main de Paggio Bracciolini (1380 — 1459), célèbre érudit humaniste florentin.
Dans la structure morphologique des écritures humanistiques, les capitales, statiques, monumentales et cérémoniales répondent parfaitement à la solennité de leur fonction de titrage. Au contraire, les bas de casse minuscules, dont la fonction est de composer le discursif, sont dynamiques, nées de l’animation des modèles de capitales lapidaires à travers les âges, par le gestuel rapide de la main du scripteur. Ils sont faits d’une succession de courbes quasi sensuelles, où les lettres à axe oblique, ne trouvent leur équilibre que dans le mouvement dextrogyre du ductus préservant le gestuel des attaques et finales, liant les unes aux autres en les déroulant dans le mot et dans la ligne. Les ascendantes et descendantes relativement longues, assurent la silhouette marquée de chaque mot-idéogramme, garantissant une parfaite identification.
Spécimen
Les formes rondes et aimables de ces écritures traduisent assez bien l’esprit de tolérance de l’humanisme de la Renaissance italienne, né dans cet environnement méditerranéen accueillant. L’imprimerie naissante crée alors une série de caractères romains imitant l’écriture humanistique utilisée dans nombre de manuscrits de l’époque et renforce son aspect droit et régulier. Le « Pogge » est un caractère contemporain qui puise ses spécificités dans ces tracés calligraphiques, et souhaite s'inscrire dans cette même recherche d'un idéal mythique en harmonie avec l'homme.